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Récit d’un retour en Ukraine par un habitant d’Island (Yonne, Morvan, Bourgogne)

Dans le cadre d’un don de deux ambulances et de matériel médical avec les associations Kiev Avallon et Ukraine et Solidarité 89

Trente trois années plus tard, je retourne en Ukraine. Mais cette fois-ci, j’y vais le coeur gros. Cela fait un peu plus de trois ans que j’ ai le cœur gros. Je dois avoir des gènes qui viennent de là-bas. Cette fois ci, j’ y vais avec sept autres personnes. Nous apportons aux services de secours deux ambulances des pompiers remplies de matériel.

La carte du périple

Carte du voyage en Ukraine : la guerre n’est qu’à 2000km de la France, soit 2 jours de voiture...
Nous sommes passés par l’Allemagne, la Pologne, l’Ukraine puis nous avons fait un crochet par la Moldavie. La guerre n’est pas si loin : 2000 km environ jusqu’à Lviv, soit deux jours de voiture seulement !

Mardi 1er avril 2025 3 h 30 : c’est le grand jour

Mardi 1er avril 2025 3 h 30. C’est le grand jour. Nous avons dormi dans une maison à Montmercy, hameau de Saint Georges sur Baulche. Nous sommes trois de l’avallonnais. Philippe Potier, président de l’association Kiev Avallon (AKA), Annia, réfugiée ukrainienne dans l’avallonnais et moi-même, Marc Buffy,adhérant d’AKA.

Annia a besoin de documents restés à Kyiv et souhaite rendre visite à ses parents en Moldavie. Ukraine Solidarité 89(US 89) est représentée par cinq personnes : Denis Hack le président, Christian, Pascal et le couple Angie et Bruno.

Départ d’Auxerre vers l’Ukraine le 1er avril à 5h00

Depuis 3 ans je suis animé par le besoin d’aider. Il m’était inconcevable de rester sans rien faire, bouleversé et révolté que j’étais par le sort réservé à ce peuple qui ne demande qu’à vivre en paix.

Le but : apporter aux services de secours Ukrainiens deux ambulances des pompiers réformées

Cela fait plusieurs mois que l’opération se prépare. Le but : apporter aux services de secours Ukrainiens deux ambulances des pompiers réformées. Ces véhicules seront remplis de matériel pour les pompiers et les services de soins.

Une ambulance est là, à St Georges et nous rejoignons l’autre stationnée chez les pompiers d’Auxerre ainsi qu’un utilitaire également rempli.
Le mois de mars a été un peu stressant à cause de l’attente. Je suis modérément inquiet et le jour du départ je suis en paix avec moi-même, plus ou moins fataliste mais également confiant.

Et c’est le départ. A raison d’une relève au volant toutes les deux heures environ, nous franchissons la frontière germano - polonaise en fin de journée et nous faisons escale, tout juste entrés en Pologne.
Le lendemain, traversée de la Pologne et arrivée à la frontière ukrainienne dans l’après-midi.

Tout au long du trajet nous avons eu l’occasion de côtoyer des routiers ukrainiens qui nous avaient repérés grâce aux affiches plaquées sur nos véhicules. A chaque fois, échanges chaleureux dans les aires de repos. Depuis le passage de Cracovie, le trafic s’est progressivement tari et nous faisons la queue à la frontière avec une quinzaine d’autres véhicules seulement.

Le projet d’origine prévoyait la livraison à Kropivnitsky, ville de 240 000 habitants au centre de l’Ukraine, capitale de l’oblast (région) de Kirorvohrad. A trois jours du départ nos correspondants nous ont plus que déconseillé de nous y rendre. La ville relativement épargnée depuis le début du conflit a subi - une dizaine de jours auparavant- de sévères bombardements.

Dans un pays en guerre, la règle absolue, c’est le silence, la discrétion

D’autre part, nous avons peut-être un peu oublié que nous allions dans un pays en guerre et que, la règle absolue, c’est le silence, la discrétion. Notre déplacement ayant été pas mal médiatisé...

Nos correspondants, des représentants des autorités de Kropyvnitsky, dont la députée, nous ont proposé de nous retrouver sur une station-service. De là, nous rejoindrons ensemble la grande ville de l’ouest ukrainien, Lviv.
Le passage de la douane mérite que je m’y attarde.

On nous demande des documents que nous n’avons pas, des requêtes bizarres

Au début, tout se passe bien et puis ça traine, on nous demande des documents que nous n’avons pas, des requêtes bizarres concernant le véhicule qui retournera en France, et pourquoi ce ne sera plus le même conducteur etc...

Au bout d’un certain temps quelqu’un que je prenais pour un douanier nous enjoint- avant de monter dans son véhicule - de le suivre jusqu’au centre de fouille pour une fouille complète. En fait de centre de fouille nous arrivons à la station-service ...ou nous attendent tous nos correspondants.

Les gens de Kropyvnitsky étant en retard avaient contacté la douane pour leur demander de nous retenir le temps nécessaire. Une forme de bizutage en sorte.

Retrouvailles à la frontière

La petite blague de nos amis ukrainiens a eu pour effet d’effacer la fatigue des 2 000 km effectués

Nous nous étreignons chaleureusement. La petite blague de nos amis a eu l’effet- sur moi- d’effacer la fatigue des 2 000 km effectués.
Première forte émotion. Il y en aura d’autres. Certaines positives, d’autres moins.

Nous prenons la route de Lviv située à 70 km.
Deuxième forte émotion : J’étais venu en Ukraine en 1993. J’en ai gardé un souvenir très fort. Depuis son indépendance en 1991 le pays était dans une grave crise économique, à l’arrêt. Je ne m’en étais à peine aperçu tellement nous avions été bien reçus. Il faut que je précise que nous étions dans les familles d’enfants de Tchernobyl que nous recevions en été depuis 1991.

Alors, instantanément, c’est la madeleine de Proust qui refait surface, comme si j’actionnais un interrupteur. Pour la première fois de ma vie j’entre dans un pays en guerre (à cet endroit la guerre ne se voit pas), mes souvenirs remontent et je suis en pleine félicité. Heureux d’être là. Contradictoire.

Arrivés à Lviv on nous installe dans notre hôtel et nous dinons tous en ville. Depuis notre arrivée à l’hotel, deux minibus avec chauffeurs sont à notre disposition.

Le lendemain, visite et réunion au QG du centre des secours de Lviv

Le lendemain, visite et réunion au QG du centre des secours de Lviv (700 000 habitants en 2022 source ONU, certainement beaucoup plus actuellement du fait des déplacements des populations ayant fui l’est et le sud). Importante réception en notre honneur. Beaucoup d’émotions. Visite du musée du centre des secours puis nous rejoignons une guide pour une visite du centre historique de la ville.

Ukraine — Au PC des pompiers de Lviv

Parmi les choses pouvant paraitre anodines, au moment où nous arrivons place de la mairie, une grande manifestation est organisée. Il s’agit de hisser au sommet du beffroi le drapeau Ukrainien. Trente-cinq ans auparavant, le même geste avait été effectué, c’était alors l’union soviétique et les Russes n’avaient pas osé « rétablir l’ordre » tant la foule était nombreuse.
Petite collation dans un bar et première alerte aérienne sur les téléphones. Dans le bar tout le monde s’en fiche. Même réaction de notre part.

Début d’après-midi, réunion à l’équivalent de ce qu’on peut appeler le conseil régional

Début d’après-midi, réunion à l’équivalent de ce qu’on peut appeler le conseil régional. Très bons échanges. Nous signalons à nos hôtes que cette réunion sera rapportée au conseil régional de Bourgogne d’une façon ou d’une autre. L’idée étant de tisser des liens pour l’avenir.

Ukraine — Oblast de Lviv (= conseil régional)

Le choc émotionnel suivant, c’est la visite de la partie consacrée aux soldats morts pour l’Ukraine, au cimetière de Lviv

Le choc émotionnel suivant, c’est la visite de la partie consacrée aux soldats morts pour l’Ukraine, au cimetière de Lviv. On a tous vu des images sur les écrans mais elles ne reflètent en rien la réalité. Là, on se prend un vrai coup de pied dans le ventre. Devant nous, sur un grand terrain en pente douce, environ deux mille tombes - les morts de Lviv- avec chaque fois une photo et un drapeau.

En bas à droite du terrain, les premiers morts de 2022, en haut à gauche les derniers de mars 2025. Et des parents se recueillant. Nous sommes restés un bon moment, avons pu parler parfois avec une personne endeuillée. Telle cette maman devant la tombe de son fils qui a sauvé toute sa compagnie mais y a laissé la vie...

Ukraine — Cimetière de Lviv

La journée s’est terminée par un moment de détente dans les petites rues de la ville. Retour à l’hôtel.

Là, notre petit groupe commence à s’éparpiller. Le soir même Annia et moi prenons le train de nuit pour Kyiv, arrivée au petit matin. Il y a le couvre-feu de minuit à cinq heures mais les chemins de fer y échappent. A Kyiv, nous logeons chez Annia et chez « ma » Youlia qui sont voisines de palier (en France, elles sont réfugiées dans deux maisons voisines).

Nous connaissons Youlia depuis l’été 1991. Elle connait beaucoup de monde à Avallon ayant fréquenté le collège puis le lycée des Chaumes tous les mois de juin pendant quelques années.

Le reste du groupe effectuera la remise des ambulances et du matériel aux services des secours de Kropyvnitsky

Le reste du groupe effectuera la remise des ambulances et du matériel aux services des secours de Kropyvnitsky. Cela se passera devant l’hôtel de Lviv. Ensuite ils se rendront à Ternopil, ville de 225 000 habitants située entre Lviv et Kyiv. Il y aura plusieurs cérémonies relatives à la seconde guerre mondiale. Il y eu un important stalag où beaucoup de soldats français ont souffert. Une autre cérémonie s’est passée dans un lieu mémoriel ou mes compagnons ont planté des arbres du souvenir avec des familles endeuillées.

Ukraine — Réception du matériel et ambulances par les pompiers de Kropyvnitsky
Ukraine — Poignée de main solidaire des pompiers devant le logo de l’association Kiev-Avallon. A droite un pompier ukrainien, à gauche, Pascal pompier volontaire dans l’Yonne.
Ukraine — Lviv, un pompier ukrainien

Nouvel éparpillement du groupe. Philippe, Angie et Bruno repartent, direction Cracovie, Philippe y prendra l’avion du retour le lendemain ou surlendemain et le couple restera pour un moment de tourisme.
Denis, Pascal et Christian nous rejoindront à Kyiv.

Nous nous rendons à Boutcha et Irpin

Avant cela, Lena, la maman de Youlia nous a rejoint et avec sa petite voiture nous nous rendons à Boutcha et Irpin.

Villes martyres il y a trois ans, là ou l’offensive Russe a été arrêtée, je suis heureux de voir que beaucoup a été reconstruit. Pas les vies malheureusement. Puis nous sommes allés à Maïdan.

Ukraine — Boutcha : Cimetière de véhicules
Ukraine — Boutcha : Cimetière de véhicules

Dans un coin de la grande place, sur peut-être 5000 m2, une autre forêt de drapeaux, quelques grands formats mais entre 40 000et 50 000 petits drapeaux ...

Ukraine — Kyiv (Kiev) : La forêt de drapeaux sur Maïdan
Chaque petit drapeau représente un soldat décédé

Ce soir là, le trio nous rejoindra après être passé également par Boutcha et Irpin avec leurs accompagnatrices.

Je retournerai en leur compagnie dans le quartier de Maïdan. Nous rencontrerons Daria membre du Chœur Morasky et qui sera notre interprète. Cette chorale est venue en Bourgogne en 2023. Auxerre, Vézelay, les caves...

La nuit de Samedi 6 au dimanche 7 nous avons vécu ce que vivent les civils des villes, en général le weekend end : les bombardements

La nuit de Samedi 6 au dimanche 7 nous avons vécu ce que vivent les civils des villes, en général le weekend end : les bombardements. La consigne est de descendre aux abris quand il y en a, sinon-ce que nous avons fait- de se réfugier dans un endroit du logement ou l’on est séparé de l’extérieur par deux murs en béton. Annia nous a parfaitement gérés avec une quantité de messages WhatsApp.

En plus du système d’alerte sur le téléphone, elle possède une appli qui lui indique l’endroit de départ de l’engin, quel type d’engin et quand nous risquons de le recevoir. A noter que Lena (en bonne Slave fataliste ?) a méprisé l’alerte et n’a pas quitté sa chambre.

Nous avons entendu les tirs de DCA sur les drones Iraniens shahed, nous en avons entendu exploser et un qui n’a pas été atteint est passé au-dessus de nous avec ce bruit -sinistre- de mobylette. Il y a eu aussi ce missile coréen qui provoqua un bruit énorme bien que l’impact a semblé assez lointain. Dans l’instant, aucune peur. Par contre au réveil, grosse boule au ventre.

Léna repartie chez elle à Tcherkassy, Annia s’est occupée de ce qu’elle avait à faire et nous, nous avons pris contact avec plusieurs associations.

Un dispensaire dans Kyiv

Tout d’abord un dispensaire dans Kyiv. Créé par un couple ayant d’abord combattu et, les deux ayant été blessés, ont installé ce dispensaire, centre de soins post - traumatique et pour certains palliatifs. Ils sont aidés de médecins, d’infirmiers, ont besoin de tout, y compris de couches pour adultes.

Ukraine — Kyiv (Kiev) : Le graph de Seth au dispensaire « Cboï »
Petite fille écrasant les chars russes en marchant. Ce graph peut être vu en France, dans le 13e arrondissement de Paris, rue Buot
Seth
Ukraine — Kyiv (Kiev) : Dispensaire « Cboï »

Dans leur bureau, au mur, une épreuve du dessin de Seth graphé sur un mur de Paris en février/mars 2022 représentant une petite Ukrainienne écrasant de ses pieds des chars russes. Ce même dessin figure sur l’entête de notre association à côté d’un dessin de Plantu, sous notre logo.

Cette équipe est admirable. Vivant de dons, ils s’occupent en moyenne de 4500 personnes à Kyiv.

Nous avons revu le chœur Moravski. En répétition. Petit plaisir savouré à sa juste valeur : quand Denis Hack est entré dans la pièce et nous à sa suite, ils se sont levés comme un seul homme et nous avons eu droit à un banc bourguignon. Ce chœur revient bientôt. Ils doivent chanter à Vaison la Romaine. Leur plus gros problème ; les voix masculines manquent quand ils vont à l’étranger.

Retrouvailles chaleureuses

L’asso d’Auxerre s’étant beaucoup impliquée dans la fourniture à l’Ukraine de chiens de recherches dans les décombres (5 chiens dressés par les pompiers et un véhicule aménagé en chenil), Denis avait à cœur de revoir le maitre-chien Ukrainien. Retrouvailles chaleureuses même s’il est passé dans une autre activité militaire.

Ukraine — Kyiv (Kiev) : retrouvailles avec le maître chien

Mercredi 9 avril, fin du séjour ukrainien. Denis, Pascal et Christian repartent en camionnette vers la France et Annia et moi prenons le bus pour la Moldavie où nous serons en fin de journée.

La Transnistrie : un petit morceau d’union soviétique comme fossilisé

Petit gag, les parents d’Annia vivent en Transnistrie, province de Moldavie à majorité relative russe ayant fait sécession en 1990 après que la Moldavie ait quitté l’union soviétique. Tout y est ; postes frontière, forces d’interposition car il y a eu conflit armé. Mais on circule quand même. Un petit morceau d’union soviétique comme fossilisé.

Moldavie — Douane Transnistrie

Après deux jours agréables, samedi 12 h nous prenons l’avion à Chisinau (prononcer Kichinao) et 3 heures plus tard retrouvailles à Beauvais.

Ce que nous venons de faire à tous les huit, au final c’est une goutte d’eau, mais nous l’avons fait : un peu notre part du colibri

Ce que nous venons de faire à tous les huit, au final c’est une goutte d’eau, mais nous l’avons fait. Un peu notre part du colibri. Je n’oublie surtout pas les donateurs sans qui rien de tout cela n’aurait été possible. Quand tout est compté, c’est environ 10 000 € par ambulance. Les contenus étant gratuits, provenant de dons.

Ce qui est certain, c’est qu’au cours de ma vie, je n’ai jamais vécu aussi intensément que lors de cette grosse semaine passée en Ukraine. Une succession dense d’émotions en tous genres.

J’ai une doctrine ; certainement simplette, c’est JAMAIS LA GUERRE !!! Mais évidemment, quand on est attaqué...

Je rentre d’un pays où l’on ressent l’engagement, l’implication de tous. Les ukrainiens savent juste pourquoi ils se battent. Cela s’appelle LIBERTE.
Slava UkraÏni.
Avallon le 23 Avril 2025.

Appel aux dons : d’autres actions auront lieu

Sans vous, rien n’est possible. Si vous souhaitez nous aider, merci d’envoyer votre don à : Association Kiev Avallon, 9 rue du saulsois, 89200 Island. France ( c’est utile de préciser pour éviter à certains courriers de faire le détour par... l’Islande).

Pour le dispensaire, nous récupérons béquilles, déambulateurs, fauteuils roulants, protections adulte, respirateurs, orthèses en tout genre, équipements permettant la nutrition entérale, médicaments...etc. Merci d’avance.( Paule : 0684076046, Marc : 0683205850 et pour un virement demandez nous un RIB : kievavallon@gmail.com ).

Par Marc Buffy

Publié le vendredi 30 mai 2025

Mis à jour le jeudi 5 juin 2025

#guerre #recit #resister #solidarite #ukraine